Interview d’un homme de fer

C’est sans une certaine émotion que nos équipes ont interrogé un homme pas tout à fait comme les autres. Franck Courchamp, adhérent de notre club depuis la première heure est devenu ce week-end finisher d’un triathlon Longue Distance lors de l’édition 2022 du FrenchMan Triathlon de Carcans.

Franck avec FrenchMan
  • Franck, peux-tu te présenter? Dans le « civil » et au sein du club

J’ai 52 ans, père de deux enfants, je suis chercheur en écologie (je travaille sur la biodiversité et le changement climatique, et j’habite Limours. Au sein du club, je fais partie des « anciens », des lents et des endurants. Et de ceux qui vannent les performances de ceux qui sont meilleurs que moi. Je suis celui qui est essoufflé au bout de 5 minutes et que vous attendez en haut des côtes.

Frankie goes to UCLA
  • Qu’est-ce qui t’a amené au triathlon?

En 2014 je suis parti vivre un an en Californie et j’ai décidé d’en profiter pour arrêter mon sport (rugby) et trouver un truc plus « Californien ». Comme j’ai pas la patience de faire du surf, l’âge pour faire du skate, ou le physique pour faire du football américain, je me suis dit que je pourrais essayer le triathlon (ok, je savais pas nager le crawl et j’avais plus de vélo depuis mes dix ans, mais j’avais commencé la CAP depuis 6 mois, donc trankil quoi…). J’ai donc fait une année dans l’université où je travaillais, University of California Los Angeles, ce qui explique pourquoi j’ai des affaires UCLA…

  • Pourquoi avoir choisi Orsay?

De retour en France en 2015 j’étais déçu de pas avoir de club dans le coin, mais le bouche à oreille m’a vite fait savoir qu’un club était en passe d’ouvrir, juste l’année suivante, à Orsay. Comme je travaille à Orsay, c’était l’idéal. Mon année à UCLA avait été très sympa (plus par l’environnement que par le club lui-même, très élitiste et évidemment très jeune), mais j’aimais pas le triathlon au point d’aller m’inscrire dans un club éloigné. En plus, celui qui allait ouvrir à Orsay promettait d’avoir une super mentalité : « le triathlon pour tous ».

  • Des anecdotes? Des souvenirs particuliers au sein du club ou dans le triathlon?

Je retiendrai deux souvenirs : celui de mon premier triathlon, à Camp Pendleton, le camp d’entrainement des Marines pour l’Afghanistan et l’Irak, qui ouvrait aux civils leur triathlon et dans lequel je me suis laissé entrainer par un copain. Outre des vagues géantes et la chaleur écrasante du désert, j’ai été marqué par l’ambiance très particulière des bénévoles et spectateurs qui étaient tous des Marines, et qui encouragent d’une manière très… propre à leur réputation.

En France, mon souvenir le plus fort est mon 1e L, sous la bienveillance d’un club tout entier, et avec l’accueil d’un grand groupe du club à l’arrivée, ce qui est indescriptible comme sentiment, mais la preuve irréfutable que courir en club, surtout un comme celui d’Orsay, fait toute la différence.

Parlons maintenant de cet exploit que tu nous a réalisé  au FrenchMan; tu t’es aligné sur la distance « légendaire » XXL:

  • Comment en es tu venu à cette démarche?

J’ai toujours voulu faire un XXL. Enfin, depuis que j’ai décidé que j’allais me mettre au triathlon. Le seul truc c’est que j’ai mis plusieurs années à le réaliser.

Le jour où j’ai découvert l’existence de la distance Ironman (alors que je n’avais pas encore fait un seul entrainement), ma réflexion a été très distinctement « mais je ne vais jamais y arriver ! ». Des années après, j’ai réalisé que si je m’étais dit ça, c’est que clairement j’avais déjà inconsciemment décidé que je devais passer par là.

  • Ta préparation, comment l’as-tu préparé, abordé, effectué?

Ma préparation est le contraire de l’exemple à suivre. Je me suis très peu entraîné pendant la période covid. J’ai commencé à faire du vélo un peu sérieusement l’hiver d’avant, en home trainer; j’ai pas du tout fait de course à pied après novembre(juste des transitions) et j’ai recommencé à nager après 3 ans d’arrêt en février seulement. J’ai fait mon propre plan d’entrainement sur 3 mois, mais juste basé sur la progressivité du volume, une heure de plus chaque semaine (donc de 6 au début à 15 au final) avec moitié moins toutes les trois semaines (et uniquement vélo et nat). J’ai pas fait de qualitatif, juste environ 80% d’endurance et 20% avec de l’intensité, et encore, quand au bout de plusieurs semaines certains copains du club m’ont expliqué que si j’étais crevé c’est parce que je faisais trop d’intensité. Je me suis par contre concentré sur ne pas me blesser, et j’ai pris un mois de congé en mai pour ne me consacrer qu’à la course, mentalement et physiquement. Mais je sais que ma force c’est pas le physique mais le mental, donc j’ai aussi travaillé ça. Le jour J, j’étais relativement prêt physiquement, mais surtout j’étais totalement prêt mentalement à affronter n’importe quelle difficulté attendue et inattendue. Si je n’avais pas le physique pour finir, je finirais à 4 pattes, voire en rampant.  

  • Le jour J, comment cela s’est il passé?

La natation est mon gros point faible et j’avais peur tout simplement de dépasser la barrière horaire des 2h. Depuis qq semaines j’avais fait de gros progrès et j’arrivais à plus nager en glissant sur l’eau. Le jour J, les vagues sur le lac, fréquentes, irrégulières et de biais, m’ont complètement déstructuré ma nage, ce qui fait que je me suis battu avec l’eau tout du long, avec une fréquence bien trop élevée et une consommation d’énergie tout aussi déraisonnable. Mais je suis resté confiant et régulier, ce qui m’a permis de finir en 1h30, un temps très long, mais conforme à mon niveau. La transition a été catastrophique, dans le sens où j’ai dû attendre mon tour pour me changer (juste 2 places derrière les paravents) et j’ai perdu mon gant que j’ai cherché stupidement 5 min (70 places de perdues en T1). D’ailleurs, j’ai perdu à peu près autant de places en T2. Heureusement que je ne m’intéressais pas au classement… Le vélo a été musculairement plus dur que prévu, des douleurs très rapidement dans les jambes (et la nuque !), mais j’ai tenu le rythme que je voulais, ou à peu près (29 de moyenne), et j’ai même remonté du monde et pris du plaisir. La course à pied ne me faisait pas peur : j’avais passé la barrière horaire en nat et j’avais pas cassé mon vélo, il ne pouvait plus rien m’arriver ! En plus, j’avais pas mal d’avance sur le timing et j’étais dans le temps pour faire 4-5h de moins que prévu ! Erreur… j’ai été pris de douleurs au ventre telles que je n’arrivais plus à courir, et j’ai dû marcher au moins une heure et demie sur l’ensemble. Heureusement, Oliv, PPG et mon fils Cyrian se sont relayés sur au moins les deux tiers de la distance, ce qui fait que ce qui aurait pu se transformer en abyme de désespoir a finalement été très supportable, voire sympa (leurs encouragements constants sur le fait que c’était pas dramatique de marcher ont beaucoup atténué ma frustration qui obscurcissait tout le reste). Au final, ce marathon très lent m’a permis de finir en relativement bonne forme, et de ne pas être épuisé ou paralysé de courbatures les jours qui ont suivis. Mais évidemment, un peu paralysé de remords, même si rétrospectivement je réalise bien que si j’avais pas marché à cause de ces douleurs, j’aurai peut-être été pris de crampes un peu plus loin, ou pris le mur de plein fouet, et peut-être même pas pu finir. J’ai le timing et la place que je mérite, et j’essaie de faire taire ma frustration et de ne rien regretter. Encore un grand merci à Oliv et PPG. Stéphane a aussi un peu couru avec moi et j’ai énormément apprécié sa présence, Oliv m’a passé ses pneus de formule 1, YoxMox m’a fait une révision perso de mon vélo, de nombreuses personnes du club m’ont donné plein de conseils (Gauthier, Paul, Jean-Marie, Sylvain, …), beaucoup m’ont encouragé avant et pendant, et surtout, surtout, Coach Seb qui au départ ne voulait pas la faire, s’est en parti laissé convaincre de faire la course aussi pour m’y accompagner, et ça a été énorme pour moi. Merci, vous êtes un club tellement super !

  • Et maintenant? Comment s’annonce l’avenir (si tu le sais déjà bien sûr)?

Maintenant que mon objectif est passé, c’est le calme plat. Un grand vide dans l’emploi du temps et la motivation. J’ai du mal à imaginer ce qui va me reconduire à l’entrainement. Certainement revoir les copains du club, mais il faudrait qu’il y ait plus, et je ne sais pas si je vais trouver rapidement. Plus d’Ironman pour moi (l’objectif était de m’y mesurer, mais je ne souhaite pas essayer de faire mieux), et les distances plus courtes sont soit trop rapides pour moi, soit trop longues J On verra. Un projet que je contemple d’un œil, est d’accompagner du handisport (par ex malvoyant) pour partager ces émotions d’une façon différente. Mais je ne pense pas pouvoir le faire seul, donc ça dépendra de si je trouve d’autres intéressés dans le club. Je mettrai peut-être quelque chose en place l’année prochaine, et je vous en parlerais à l’occasion.

  • As-tu un rituel d’avant course? d’après-course?

Pas vraiment de rituel, mais je rentre progressivement dans ma bulle de concentration. Je m’isole, je me motive, je compare ma future course aux grands exploits des commandos de l’extrême, des aventuriers survivors, des courses inspirantes de ceux qui n’ont qu’une jambe ou nagent dans la glace et courent sur la crête des montagnes, et je me dis que ce que je vais faire c’est une marelle de maternelle et que je peux ni me plaindre, ni baisser les bras à côté de ces héros. Je me mets en mode warrior pour compenser mes limites physiques J

This article has 3 Comments

  1. Un grand bravo pour cette performance. La motivation on la retrouve il reste encore beaucoup de choses à réaliser.
    Pour avoir accompagner dans le cadre du handisport je te confirme que c’est une magnifique expérience de vie.

  2. Encore bravo Franck pour ton exemple et ta « bravitude ». Un phare dans notre club ❤️

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